Après « Cracked », livre, fondamental consacré à l’imposture de la psychiatrie moderne et à l’inflation des troubles mentaux en Occident, le psychologue britannique James Davies revient avec « Sedated », un livre qui s’intéresse cette fois aux causes de cette explosion des problèmes de santé mentale et à la réponse essentiellement biomédicale qui y est apportée.
James Davies commence par rappeler un paradoxe déjà évoqué dans son premier ouvrage: bien que les dépenses en matière de santé mentale et la consommation de médicaments psychotropes n’aient jamais été aussi fortes, on assiste à une explosion des troubles mentaux alors, qu’en toute logique, les efforts conjugués des traitements prescrits et la prise en charge accrue devraient conduire à une amélioration de la situation.
En plus d’attribuer ce résultat négatif aux liens incestueux noués entre le monde médical et Big Pharma, avec la complicité des gouvernements et des autorités de régulation, James Davies va plus loin et se penche sur les causes profondes du mal-être en Occident. Parmi ces dernières, on trouve un système socio-économique de plus en plus nocif pour la santé mentale. Or, au lieu de pousser à une remise en cause de ce système, la tendance lourde est, au contraire, de faire porter la responsabilité des problèmes sur l’individu et sur sa vision de lui-même et du monde.
Davies donne l’exemple de plusieurs programmes mis en place dans les entreprises ou au sein du système de soin britannique. Alors que ces programmes prétendent identifier et aider à surmonter les troubles mentaux, ceux-ci ne s’attaquent jamais aux causes psycho-sociales des problèmes: surcharge de travail, contrats précaires, pression managériale, déshumanisation mais expliquent à l’individu qu’il est entièrement responsable et qu’il n’appartient qu’à lui de surmonter ses difficultés.
Alors que le mal-être ressenti par les individus constitue une réponse normale et légitime à un problème systémique et structurel, celui-ci est immédiatement médicalisé et imputé à un défaut de l’individu et non du système lui-même. Dès lors, une combinaison destructrice de médicaments et de « pensée positive » va avoir pour objectif de rendre tolérable une situation intolérable, l’individu et sa santé mentale devenant la variable d’ajustement d’un système qui refuse de remettre en cause sa propre logique.
Davies poursuit son exposé en montrant comment ces problèmes se trouvent aggravés par une approche productiviste du management et une culture matérialiste qui encourage l’avoir au détriment de l’être et présente la consommation de produits, de loisirs, de médicaments comme la réponse à des dysfonctionnements d’ordres structurel.
A ce titre, la conclusion de Davies est sans appel: alors qu’ils prétendent désormais prendre en compte les problèmes de santé mentale, nos dirigeants et nos entreprises, cherchent à réalité à faire porter l’entière responsabilité de ceux-ci sur les individus plutôt que sur le système qui les broie. Pour s’en sortir, notre priorité doit être un changement radical et systémique, à la fois de la façon dont nous abordons la santé mentale mais aussi, et plus largement, sur les fondements philosophiques et économiques d’un système qui détruit l’homme comme la nature.
Si ce livre, plus ambitieux dans son approche et plus éloigné sur certains points du domaine d’expertise de l’auteur, s’avère moins percutant que « Cracked », il représente néanmoins une contribution très importante au combat contre la logique économique et politique moderne ainsi qu’une illustration supplémentaire de l’adage selon lequel être adapté à une société malade n’est pas un signe de bonne santé.
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